Le nouveau paradigme des taux

Depuis des années, nous avons pris l’habitude de vivre dans un monde de taux bas, voire même de taux négatifs, avec parfois le sentiment qu’il en serait désormais toujours ainsi. Il s’agissait d’une réponse des Banques centrales aux différentes crises que nous avons connues depuis 2008, réponse qui a consisté à baisser drastiquement les taux courts et à faire baisser les taux longs avec les fameux programmes d’assouplissement quantitatif. Mais cela, c’est de l’histoire ancienne et les Banques centrales ont amorcé cette année un changement forcé par la hausse soudaine et brutale de l’inflation.
L’inflation: le grand retour
Pour comprendre ce changement de paradigme de la part des Banques centrales, il faut en effet s’intéresser à l’inflation. Car malgré les injections massives de liquidités par les Banques centrales, l’inflation avait totalement disparu du paysage depuis des années et semblait être devenue un ancien souvenir.
Mais la crise Covid est venue rebattre les cartes et la hausse de l’inflation a surpris les Banques centrales qui ont d’ailleurs mis du temps à prendre la pleine mesure du phénomène.
Il faut revenir à 2020 et son confinement dont évidemment tout le monde se souvient. Toutes les économies s’arrêtent, la production comme la consommation, à l’exception des biens de première nécessité. L’économie subit un choc d’une ampleur inédite, ou comparable à une guerre. Un double choc même puisqu’il s’agit d’un choc de l’offre et de la demande. Résultat, les prix des matières premières, de l’énergie, des services,… s’effondrent faute de demande. Tout le monde se souvient d’un prix du baril qui est tombé à 20$ alors qu’il se situait à 70$ avant la crise Covid.
Avec le déconfinement, les économies ont fait alors face à une explosion de la demande, un choc de la demande positif, mais d’une ampleur inédite. Et malgré la reprise de la production, les entreprises ont été incapables de répondre à cette demande, confrontées alors à une hausse rapide des prix des matières premières, des intrants et de l’énergie. Et en plus à des ruptures dans les chaînes d’approvisionnement provoquées par un dérèglement total du commerce international et par la politique zéro-Covid des autorités chinoises. Car si la Chine est rapidement sortie du confinement, elle connait depuis lors des phases de nouvelles restrictions qui entrainent la fermeture de ports et d’usines dans des régions particulièrement tournées vers l’exportation.
Mais ce ne sont pas les seuls facteurs qui expliquent la hausse de l’inflation. A cela il faut rajouter des taux de TVA qui ont été réduits en 2020 et réajustés à leur niveau antérieur en 2021. Et les plans d’aide des gouvernements, en particulier aux Etats-Unis qui ont soutenu la consommation.
L’ensemble de ces éléments a provoqué une hausse de l’inflation sur l’année 2021, hausse exacerbée avec la guerre en Ukraine qui entrainé une nouvelle poussée de fièvre sur un certain nombre de matières premières.
Attitudes des Banques centrales
Dans un premier temps, elles ont regardé cette hausse comme un phénomène épisodique lié à un déséquilibre qui allait rapidement se réguler. Surtout les problèmes dans les chaînes d’approvisionnement qui étaient perçus comme temporaires. Face à une hausse temporaire de l’inflation, il n’y avait aucune raison de remonter les taux qui risquaient de venir mettre à mal la reprise de l’économie après son effondrement en 2020.
Mais le temporaire a duré, la politique zéro-Covid de la Chine également, les problèmes dans les chaînes d’approvisionnement aussi par la force des choses, et la hausse des prix des matières premières s’est amplifiée avec la guerre en Ukraine.
Avec comme conséquence que fin 2021, début 2022, les Banques centrales se sont retrouvées avec des taux d’inflation qui n’avaient plus été vus depuis 30 ou 40 ans en Europe, au Canada, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et j’en passe.
La crainte alors de devoir faire face à une inflation qui perdure et à des anticipations d’inflation qui viennent entretenir cette dernière ont poussé les Banques centrales à resserrer leur condition monétaire.
L’attitude de la BCE
A l’exception de la Banque du Japon, la BCE s’est jusqu’à présent montrée beaucoup moins encline à monter ses taux parce qu’en zone euro la hausse de l’inflation a surtout été liée à la hausse des prix de l’énergie et aux problèmes dans les chaînes d’approvisionnement.
Cela n’a cependant pas empêché les taux longs en zone euro de se redresser sensiblement sous l’effet de la remontée des taux aux Etats-Unis. Le taux obligataire, en Belgique, à 10 ans est ainsi passé de 0,80% à 1,40% en quelques semaines avec comme conséquence aussi une remontée des taux hypothécaires.
Pour autant, comme les anticipations d’inflation demeurent au-delà de l’objectif de la BCE et pour éviter qu’elles ne s’ancrent durablement, la BCE se dirige vers la fin de son programme d’assouplissement quantitatif début juillet. Ce qui ouvrirait alors la voie à des hausses de taux, à savoir que le taux des dépôts actuellement à -0,50% pourrait se situer à 0,50% fin de l’année.
Cependant comme la BCE n’a pas encore l’intention de réduire la taille de son bilan, la remontée des taux devrait être limitée. Et aussi en tenant compte du fait que l’endettement des Etats s’est fortement accentué avec les aides Covid, la BCE évitera un dérapage des taux longs.
Même si l’inflation devrait refluer en 2023, elle restera largement au-dessus des niveaux que nous avons connu dans le passé, ce qui devrait inciter la BCE à continuer à augmenter ses taux. Mais la hausse sera limitée et graduelle car l’économie en zone euro est particulièrement affectée par la guerre en Ukraine et le risque d’une récession ne peut pas être écarté.
Pour autant, l’ère des taux négatifs est très probablement derrière nous et les taux longs vont évoluer à la hausse sans connaitre une envolée. Mais la zone euro pourrait traverser une zone de turbulence avec un risque important de stagflation, à savoir une croissance faible et une inflation élevée, si les prix de l’énergie restent sous tension. La conjonction de ces deux éléments serait un facteur négatif pour le marché immobilier car une inflation élevée pèserait sur le pouvoir d’achat des ménages et une croissance faible sur l’ensemble de l’économie. Le marché immobilier risque donc de connaitre un sérieux ralentissement dans les prochaines années.